Si d’aucuns ne prennent pas au sérieux les jeux sérieux, d’autres ont compris tout le formidable potentiel pédagogique de la ludopédagogie. En la matière, Alice Servy, Maîtresse de conférences à l’Université de Strasbourg, connaît et pratique de nombreuses applications avec ses étudiants. Tour d’horizon de ses méthodes à travers un retour d’expérience qui donne envie de se prendre au jeu.
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2025

Alice Servy est Maîtresse de conférences en anthropologie à la Faculté de sciences sociales de l’Université de Strasbourg et membre du laboratoire SAGE – Société, Acteurs, gouvernement en Europe.
Elle a participé au montage de la formation Sciences sociales et santé, dans le cadre de la réforme des études de santé, et a à cœur de dynamiser ses cours notamment par la ludopédagogie.
1. Publics étudiants
Dans le cadre de vos enseignements, vous appliquez différentes méthodes qui relèvent de la ludopédagogie. Avant d’entrer dans le vif du sujet, à quels publics étudiants sont-elles destinées ?
Le public est constitué principalement d’étudiantes et étudiants de la Faculté de sciences sociales ou de la Faculté de médecine, maïeutique et sciences de la santé de l’Université de Strasbourg. En termes d’éclectisme, le spectre est large, comme il couvre des niveaux allant de la première année de licence au master 2 et que cela comprend des cohortes de 15 à 140 étudiants. Dans ma précédente université, j’ai même assuré un cours pour 482 étudiants. C’est précisément lors de ce cours magistral, dans cet amphithéâtre de près de 500 étudiants, que l’idée de la pédagogie active a germé.
Pour aller davantage dans le détail de mes enseignements, je donne des cours de méthodes qualitatives en sciences sociales et des cours disciplinaires (introduction à l’anthropologie, anthropologie de la santé, etc.). Par ailleurs, je dispense aussi des cours visant à la professionnalisation des étudiants, parmi lesquels un cours de Projet professionnel de l’étudiant (PPE) et un cours sur les Approches collaboratives et interactives.
J’accorde de l’importance à la bienveillance inhérente à la pédagogie active et aux dispositifs ludopédagogiques, en particulier. C‘est pourquoi, à chaque première séance de cours, j’établis des accords de groupe avec les étudiants. Cela vise à poser un cadre respectueux pour tous, afin que le cours se déroule ensuite bien pour chacun.
2. Initiatives variées
En matière de ludopédagogie, les initiatives que vous avez expérimentées sont vastes. Pouvez-vous nous donner des exemples ?
Voici une liste non-exhaustive des différentes techniques que j’ai pu utiliser :
- Brise-glace de rentrée
Il s’agit d’une amorce pour mettre les étudiants à l’aise et favoriser l’entraide durant l’année à venir. Le brise-glace peut par exemple prendre la forme d’une météo intérieure (l’étudiant exprime ses émotions par rapport à la rentrée en les comparant à la météo) ou s’appuyer sur le jeu Dixit, reposant sur la sélection d’images oniriques.
- Post-it
Des nombreuses pratiques de pédagogie active emploient les post-it. Les usages sont multiples ! Cela permet de lancer les échanges, synthétiser les idées de chacun, les visualiser rapidement, les organiser, etc.
- Escape Game numérique avec Genial.ly
La plateforme Genial.ly permet notamment de réaliser des jeux à énigme. Chaque année, Nadira Bensmaia-Zaidi, ingénieure pédagogique à l’Idip – Institut de Développement et d’Innovation Pédagogiques – intervient dans mon cours destiné aux étudiants du Master d’anthropologie pour leur apprendre à construire un jeu autour de leurs recherches. Cette compétence peut être un atout pour eux, s’ils souhaitent faire de la médiation scientifique, par exemple.
- Exercice d’observation et de description en binôme
Pour cet exercice, la classe est divisée en deux. Un groupe sort de la salle, tandis que l’autre reste pour visionner une vidéo ethnographique de quelques minutes. Tour à tour, chaque groupe décrit la scène visionnée à l’autre. L’idée est de réfléchir à ce que l’on doit observer et décrire, ainsi que comment le faire en tant qu’ethnographe. Cela permet d’aborder les questions de mémorisation, de prise de notes, de la place de l’enquêteur, etc.
- Wooclap
Solution numérique reposant sur l’interactivité, Wooclap propose différents usages, comme la possibilité pour l’enseignant de solliciter instantanément les étudiants pour répondre à des questions. Les réponses s’affichent en temps réel à l’écran, de même pour les sondages, et ce, quel que soit le nombre d’étudiants. L’Idip propose des formations à cet outil qui est particulièrement utile en amphi.
- Vote à 5 doigts
Dans la même logique que Wooclap, le vote à 5 doigts permet de répondre aux questions de l’enseignant en montrant le numéro de la réponse avec ses mains. Moins créatif, mais pas moins stimulant pour autant. Et surtout, ça fonctionne, même lorsqu’il n’y a pas d’Internet dans la salle !
- Débat bocal (aussi appelé « bocal à poissons »)
Invités à se positionner sur un sujet donné, les étudiants sont assis en cercle autour d’un bocal imaginaire. Pour prendre la parole, ils doivent ainsi s’asseoir au centre. Les arguments des uns et des autres sont donnés sans que la discussion ne soit dirigée par l’enseignant. C’est une technique qui permet de favoriser l’écoute et incite les étudiants à davantage réfléchir à leurs arguments avant de prendre la parole.

À ces exemples s’ajoutent trois méthodes ludopédagogiques qu’il est intéressant d’expliciter :
1. Le photolangage
Définition : Ensemble de photographies variées qui représentent des groupes, des individus, des situations, des paysages ou des lieux de vie.
Matériel : Un set de photographies
Mode d’emploi :
- Disposer des photos sur une table, ou au sol, pour que les étudiants puissent tourner autour et les voir.
- Demander de choisir individuellement la photo qui illustre le mieux la façon dont il ou elle se représente la notion étudiée, par exemple le genre.
- Chacun choisit silencieusement une photo. Les photos peuvent être bougées, comparées, mais elles doivent être laissées sur la table pour qu'elles continuent à être visibles par tous. Ils ne doivent pas communiquer entre eux afin d'éviter les effets d'influence. Il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises photos.
- Lorsque les étudiants ont choisi une photo, ils peuvent retourner s'asseoir et réfléchir aux arguments qui ont orienté leur choix.
- Ensuite, à tour de rôle, chacun exprime les raisons de son choix, sans que cela ne donne lieu à des commentaires de la part du groupe. Si deux personnes ont choisi la même photo, elles seront écoutées l’une après l’autre.
Du côté de l’enseignant :
- Prendre en note, au tableau, les expressions utilisées par les participants pour expliquer leur choix et les classer en fonction de leur proximité.
- À la fin, nous aurons une vision globale des positionnements du groupe quant à la notion étudiée.
- Partir de ces positionnements pour en donner une définition et continuer le cours.
Objectifs du photolangage :
- Favoriser la prise de parole, l'expression de chacun et le développement d'une dynamique au sein d'un groupe.
- Recueillir les attentes, les demandes, les idées d'un groupe sur un sujet donné.
2. Débat mouvant (ou « rivière du doute »)
Définition : Forme de débat où les étudiants se répartissent dans l’espace en fonction de leur opinion.
Matériel : Salle de grande capacité, comportant des tables déplaçables.
Mode d’emploi :
- La salle est matérialisée en trois espaces dédiés aux pour, aux contre et à ceux qui sont dans l’incertitude. L’enseignant pose une question polémique aux participants et leur demande d’exprimer leur avis en se déplaçant dans l’espace.
- Chaque groupe met (ou non) en commun ses arguments.
- L’enseignant donne la parole à un groupe puis à l’autre, successivement.
- L’enseignant reformule les propos des participants et pose une nouvelle question lorsque le débat s’essouffle.
Variante : Faire lire en amont du débat des textes aux étudiants et leur demander d’argumenter en s’appuyant sur ce corpus de textes.
Objectifs du débat mouvant :
- Aborder un sujet délicat de façon directe.
- Amener à s’exprimer sur des représentations, idées, opinions ou désaccords.
- Favoriser le débat de manière ludique et permettre la modification des points de vue.
- Se mobiliser physiquement et sentir que l'on peut changer ou nuancer son avis par des arguments.
3. Carrousel
Définition : Technique de brainstorming tournant, où les participants réfléchissent en petits groupes sur plusieurs questions.
Matériel : 4 feuilles de paperboard et 4 marqueurs de différentes couleurs
Mode d’emploi :
- Une question ouverte, claire et précise, est inscrite sur chaque feuille de paperboard.
- Les feuilles sont disposées aux extrémités de la salle.
- On attribue un groupe de 3 à 4 personnes par feuille.
- Chaque groupe tente de répondre à la question en un temps limité, avec la possibilité de procéder en temps dégressif : 5, 4, 3, 2 minutes, par exemple. Il note sa réponse, puis se dirige vers la feuille suivante. Chaque groupe disposant d’un feutre de couleur spécifique, les feuilles sont agrémentées des réponses distinctives au fur et à mesure de l’exercice.
- À la fin du carrousel, chaque feuille de réponses est débriefée, complétée et corrigée par l’enseignant.
Objectifs :
- Co-construire et mutualiser les savoirs des participants.
- Tester les prénotions des participants avant un exposé.
- Débriefer, trouver des recommandations, etc.
Le fil conducteur de nombreuses initiatives ludopédagogiques est de s’appuyer sur un cours très structuré pour y apporter du dynamisme.
4. Time’s Up pédagogique
Attardons-nous plus particulièrement sur votre Time’s Up pédagogique. Comment avez-vous détourné ce jeu bien connu pour en faire un outil pédagogique ?
L’idée est venue de ma cousine, enseignante d’anglais, qui pratiquait le Time’s Up avec ses élèves à des fins d’acquisition de vocabulaire. J’ai transposé le principe à mon cours de sciences sociales de la santé, en décidant de faire deviner aux étudiants les concepts scientifiques et les noms des chercheurs étudiés en cours. Il s’agit généralement d’un petit groupe d’une dizaine d’étudiants de niveau L3.
À l’instar du jeu de société originel, lors de la première manche, on fait deviner un mot en utilisant tous les mots que l’on souhaite, à l’exception du terme à trouver et en s’appuyant, dans notre cas, sur les définitions vues en cours. La manche suivante ajoute une difficulté, puisqu’on ne peut dire qu’un mot ayant valeur d’indice. Enfin, la troisième et dernière manche est celle du mime !
Le fil conducteur de nombreuses initiatives ludopédagogiques est de s’appuyer sur un cours très structuré pour y apporter du dynamisme. J’organise ce jeu à l’occasion de la dernière séance de cours. Cela me permet de faire un récapitulatif des notions et des auteurs majeurs du cours et d’amener les étudiants à réviser activement.
La ludopédagogie améliore la dynamique de groupe.
5. Bénéfices de part et d’autre
Quels bénéfices y a-t-il à pratiquer la ludopédagogie ? En premier lieu pour vos étudiants, mais aussi pour vous-même ?
Cela mobilise l’étudiant. Il est présent, actif et devient partie prenante de l’enseignement. Un avantage de la ludopédagogie est qu’elle invite à adopter une posture plus horizontale, entre moi et les étudiants. À travers le jeu, on se détache du schéma sachants / apprenants, puisque je suis également dans une position d’apprenante. Par ailleurs, cela met en avant les étudiants et les valorise. La ludopédagogie améliore la dynamique de groupe.
Il reste toutefois difficile, à mon échelle, de mesurer l’effet réel de ces méthodes sur l’amélioration du niveau des étudiants. Dans la mesure où je pratique beaucoup ce mode d’enseignement, je ne peux pas réaliser de comparatif avec un mode d’enseignement classique. Néanmoins, les bénéfices vont au-delà de la salle de classe. Sous une perspective professionnalisante, la pédagogie active et, de surcroît, la ludopédagogie peuvent nourrir un CV étudiant. Les techniques expérimentées pourront être réutilisées dans le cadre de recherches en sciences sociales ou dans le cadre d’un travail d’animation, de médiation, d’enseignement, de management, etc., selon les situations.
Pour ma part, ces initiatives ludopédagogiques me permettent de ne jamais m’ennuyer. Je sors contente et dynamisée du cours. Et, dans le cas des cours magistraux, ces méthodes aident à sortir de la passivité d’étudiants spectateurs qui ne s’impliquent pas de la même manière dans le cours. Enfin, par goût et par curiosité, j’aime expérimenter de nouvelles techniques, c’est donc épanouissant.

6. Inspirations
D’où vient votre goût pour la ludopédagogie et comment vous êtes-vous outillée au fil des ans ?
Ce goût vient notamment de mes expériences antérieures de recherche et d’enseignement. N’étant, moi-même, plus très encline à suivre une succession de cours magistraux, j’avais à cœur d’insuffler de l’interactivité à mes cours. Face à un grand groupe d’étudiants, la tâche peut sembler compliquée. Ayant eu connaissance de l’utilisation de la pédagogie active par un enseignant auprès de 1200 étudiants, j’ai été inspirée par ce qu’il suggérait : morceler cette grande cohorte en plus petits groupes, pour pouvoir malgré tout proposer de l’interactivité.
Afin de façonner ma façon d’enseigner avec la ludopédagogie, j’ai pu m’appuyer sur le DESU de pédagogie pour l’enseignement supérieur proposé par mon ancien établissement, Aix-Marseille Université ; dans la veine du DU PES proposé par l’Idip. Et j’ai aussi parallèlement suivi les formations proposées par mon ancien laboratoire, le LPED, sur le travail collaboratif. En autodidacte, je me suis aussi outillée auprès de la communauté enseignante, en m’abreuvant d’expériences, sur Internet ou dans le cadre d’échanges et de rencontres.
7. Écueils et conseils
Quelles difficultés avez-vous pu rencontrer dans la mise en œuvre des pratiques évoquées ?
Mettre en œuvre ces initiatives demande une forte adaptabilité. Que les contraintes soient techniques, logistiques ou d’autre nature, le maître-mot est l’adaptation. Par ailleurs, on est « à découvert » quand on utilise ce type de techniques, surtout pour la première fois. Il faut oser proposer quelque chose d’un peu original aux étudiants et puiser en soi l’énergie pour le faire. La préparation en amont, la structuration du cours et du jeu, ainsi qu’une bonne communication avec les étudiants sont essentielles.
Il faut aussi avoir à l’esprit qu’il arrive que les étudiants préfèrent un enseignement plus magistral, leur demandant moins de participation. Enfin, la ludopédagogie, au même titre que d’autres procédés pédagogiques, questionne l’accessibilité des méthodes employées, notamment pour les étudiants aux besoins spécifiques ou pour ceux qui ont des difficultés à prendre la parole à l’oral, par exemple.
Quels conseils donner à quelqu’un qui souhaiterait se lancer ?
Il est fondamental de se mettre, soi-même, à la place de l’apprenant, en expérimentant des dispositifs de ludopédagogie avant de mettre en place ces techniques dans un cours. La dimension formative est également très importante. Sur ce point, je renvoie aux formations de l’Idip sur ce thème [ndlr : voir encadré pour consulter l’offre complète des formations de l’Idip].
Pour moi, participer aux J’Idip équivaut à avoir de nouvelles sources d’inspiration.
8. Partage et émulation
Vous avez présenté certains de vos dispositifs dans le cadre de la J’Idip [Journée annuelle de l’Institut de développement et d’Innovation pédagogiques]. En quoi le partage des pratiques pédagogiques est-il enrichissant dans le cadre de votre enseignement, ainsi que pour vous-même ?
Pour moi, participer aux J’Idip équivaut à avoir de nouvelles sources d’inspiration. Ce sont autant d’occasions d’échanger avec des collègues et de se soutenir. Par exemple, cette année, j’ai rencontré un enseignant-chercheur qui expérimente, lui aussi, de nouvelles techniques dans ses cours. Nous avons échangé autour de nos questionnements respectifs ou de difficultés et avons poursuivi la discussion autour du Stammtisch Les étudiants veulent-ils des cours magistraux ?, pour continuer à débriefer et à trouver des solutions collectivement.
Aller plus loin
Ressource pour concevoir des Métacartes en cliquant ici.
Pour réserver une salle au sein de l’Université de Strasbourg, rendez-vous sur la page dédiée.
Le portail des formations pédagogiques de l’Idip est accessible à toute personne ayant une charge d'enseignement.
Enfin, pour en savoir plus sur les J’Idip, rendez-vous sur la page de la dernière édition 2025, sur le thème « La place des étudiant·es dans nos enseignements ».
Propos recueillis par Coline Fuchs.