Bien que le centrage s’approche de la méditation, cette pratique possède ses propres codes, adaptés à un milieu étudiant. Mise en place par des enseignants volontaires au sein de l’Université de Strasbourg, elle vise à débuter et/ou finir le cours par un bref moment introspectif guidé, que Florence Spitzenstetter détaille en évoquant les contours du projet CENTRé.
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Florence Spitzenstetter est Enseignante-chercheuse en Psychologie Sociale, membre du Laboratoire de Psychologie des Cognitions (LPC – UR 4440) axé sur la méthode expérimentale. Après avoir travaillé sur la perception des risques et la comparaison sociale, elle développe aujourd’hui un intérêt pour la question du bien-être, notamment au travers du projet CENTRé.
Florence Spitzenstetter est, par ailleurs, Responsable de l’apprentissage, du dispositif « Oui, si » et de la mobilité internationale au sein de la Faculté de Psychologie.
1. Genèse et objectifs du projet
Comment est né le projet Centrage réussite étudiante, abrégé CENTRé ? En quoi consiste-t-il et quels bienfaits vise-t-il ?
Le dispositif CENTRé trouve son origine dans le constat que nous étions plusieurs enseignants, issus de disciplines différentes, à partager une pratique personnelle de la méditation. Certains s’inspiraient de cette pratique pour travailler avec les étudiants essentiellement par le biais d’un temps d’attention focalisée, c’est-à-dire un temps où l’on invite les étudiants à placer leur attention pendant quelques minutes sur un objet défini (leur respiration ou une partie de leur corps par exemple). Ce type de pratique, dont l’intérêt est soutenu par une littérature scientifique de plus en plus abondante, pouvait peut-être intéresser d’autres collègues.
Convaincus des apports positifs de cette démarche, nous avons travaillé de façon concrète, pour répondre à un appel à projet IdEX Formation structuration. Le but était de développer un programme complet (cycle de conférences, ateliers de pratiques et d’échanges) pour amener de nouveaux enseignants à proposer eux aussi à leurs étudiants un temps d’attention focalisée en début de leurs cours magistraux ou autres en Licence et Master.
C’est une sensibilisation à la méditation que nous mettons à disposition des étudiants en début de cours, avec l’idée qu’ils s’en saisissent, aussi pour pratiquer du centrage dans d’autres contextes, en particulier en période d’examens. Le bénéfice est, en outre, de développer ses capacités d’attention et d’autre part de réduire son stress. C’est, par ailleurs, une manière d’amener les étudiants à découvrir les propositions de l’Université de Strasbourg, du service de santé ou des sports, par exemple.
Le fait de l’intégrer aux cours, est une caractéristique importante. En effet, à la différence d’autres dispositifs existants, CENTRé n’est pas en marge des cours, mais au cœur de l’enseignement. Il ne s’agit pas d’une démarche coûteuse pour les étudiants. Ils n’ont qu’à se laisser guider et l’expérimenter, mais si certains n’adhèrent pas ou ne souhaitent pas participer, on leur demande simplement de rester silencieux pour ne pas gêner les autres.
2. Un double bénéfice
En termes de mise en œuvre, CENTRé a été pensé pour être porté par les enseignants, auprès de leurs étudiants, dans une démarche pluridisciplinaire. Selon vous, il est autant bénéfique pour l’enseignant que l’étudiant ?
C’est effectivement doublement bénéfique pour les étudiants, tant pour la concentration que pour la dynamique de cours, et ça l’est aussi pour l’enseignant. Pendant les ateliers de sensibilisation, nombre d’enseignants craignaient que ce centrage fasse perdre du temps. En réalité, c’est plutôt l’inverse : ça apaise l’atmosphère. Les premières minutes de chahut, classiques en début de cours, sont remplacées par un temps de calme collectif qui permet ensuite d’être dans les bonnes dispositions pour enchaîner sur le cours.
3. Ateliers de sensibilisation
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur ces ateliers de sensibilisation ? Y a-t-il des freins éventuels ou des modalités spécifiques à mettre en place ?
Avec les autres membres du projet, nous avons animé des ateliers interdisciplinaires, dans la continuité d’un cycle de conférences. Cela a notamment permis de capitaliser sur l’intérêt suscité lors de la J’Idip [Journée de l’innovation pédagogique de l’Idip, ndlr]. Dans ce cadre, les inscrits ont pu découvrir concrètement comment se déroule la pratique, ce qu’elle apporte, etc. Beaucoup ont été rassurés par la légitimité apportée par l’Université de Strasbourg. Les appréhensions étaient, par exemple : « Peut-on réellement faire cela à l’Université ? », ou : « Est-ce que ça a sa place dans mon cours ? ». L’assentiment de l’Université de Strasbourg a donc été un levier pour se lancer dans le projet ; lequel reposait, par ailleurs, sur une littérature scientifique attestant des bienfaits.
Par la suite, nous avons proposé des ateliers de retour d’expérience. Nous avons ainsi constaté que des enseignants avaient franchi le cap, en pratiquant le centrage sur l’année et en étaient satisfaits. D’autres, qui avaient participé à des ateliers de sensibilisation, n’y sont pas parvenus, essentiellement parce qu’ils n’étaient pas sûrs de le mettre en place en TD ou en CM. Pour ces personnes, il a parfois suffi qu’ils reviennent en atelier de sensibilisation pour gagner en confiance. Le projet infuse progressivement, l’essentiel est que l’enseignant ne se sente pas forcé et soit à l’aise.
En fin de centrage, je termine toujours en disant : On est complètement présents ici et maintenant.
Nombreux sont les enseignants qui pratiquent le centrage uniquement en travaux dirigés, pour être en petit groupe. Pour ma part, je le fais en cours magistral, dans un amphithéâtre de 200 étudiants et cela fonctionne bien. En fin de centrage, je termine toujours en disant : « On est complètement présents ici et maintenant ».
4. Bilan et impact
CENTRé a obtenu le financement Initiative d’excellence (IdEX) Formation Structuration en 2021. Pouvez-vous nous faire part des résultats collectés à ce jour concernant l’impact auprès des étudiants ?
La mise en place du dispositif CENTRé impliquait aussi que nous tentions d’en évaluer l’impact sur les étudiants. Ainsi, il a été décidé d’avoir trois temps de mesure, à chaque fois via un formulaire en ligne anonymisé. Le premier temps en amont, avant de commencer, puis un temps de mesure à mi-parcours et, enfin, un temps de mesure plus proche de la fin de l’année universitaire. Dans ce cadre, les indicateurs qui ont été étudiés portaient sur le stress, le niveau d’anxiété, le sentiment d’efficacité personnelle, la perception des capacités d’attention et enfin la projection en termes de réussite.
La littérature avait montré que ces éléments pouvaient être impactés par des pratiques de médiation de pleine conscience classique. Avec le centrage, nous ne sommes cependant pas dans ce schéma classique : le temps de pratique est raccourci à 3-4 minutes et la fréquence n’est pas quotidienne. Un temps si court pouvait-il suffire à induire quelque chose ?
Il faut préciser que le premier questionnaire était totalement déconnecté de CENTRé. En effet, nous avons présenté ce questionnaire comme portant sur les conditions de travail et les impressions des étudiants, sans mentionner le centrage. À la seconde mesure, on a demandé s’ils avaient bénéficié de temps de centrage. D’un point de vue méthodologique, on s’est intéressé à l’échantillon qui a répondu « oui », en l’appariant à un échantillon équivalent ayant répondu « non ». Ainsi, nous avions la même répartition d’âge, de genre et de discipline dans les deux groupes.
Globalement, nous avons observé que le stress augmente entre T1 et T2, puis T3, pour l’ensemble des répondants. En revanche, nous avons noté que les autres indicateurs (sentiment d’efficacité personnelle, etc.) restent constants chez les personnes qui ont bénéficié de CENTRé, alors qu’ils se dégradent également chez ceux qui n’ont pas pratiqué le centrage. On peut alors se dire que le centrage aide les étudiants à mieux gérer le stress. Ils le subissent, mais semblent mieux parvenir à en réduire l’impact sur les capacités d’attention, le sentiment d’efficacité personnelle ou encore la projection de réussite. Même si ces résultats nécessitent d’être répliqués, ils sont très encourageants.
Par ailleurs, grâce au questionnaire de « satisfaction », envoyé a posteriori exclusivement aux étudiants ayant participé à CENTRé, on sait que les étudiants ont majoritairement notamment le sentiment d’être plus concentrés, plus calmes et que l’ambiance en cours était meilleure. Là encore, il s’agit de résultats intéressants qui nous encouragent à poursuivre dans cette direction !
5. Déploiement
On imagine que connaître cet impact positif vous aide à poursuivre le déploiement de CENTRé. Comment lever les réticences qui pourraient subsister chez les étudiants ?
Introduire le dispositif comme un exercice de concentration me semble être un bon levier. Cela peut prendre différentes formes, comme se concentrer sur la respiration ou bien faire ce qu’on appelle un « scan corporel », qui consiste à focaliser successivement l’attention sur différentes zones de son corps. Les étudiants peuvent en comprendre immédiatement l’utilité pour leurs études. On peut aussi parler de l’importance de rompre avec les automatismes qui nous font passer d’une chose à l’autre sans vraiment prêter attention à ce que nous faisons, etc. L’idée n’est absolument pas de faire un cours sur ce qu’est la méditation ou quels en sont les bénéfices, mais seulement de sensibiliser les étudiants à la dispersion de leur attention de façon simple et naturelle.
L’idée est de les sensibiliser au fait qu’ils ont du contrôle sur la mobilisation de leur concentration.
À travers CENTRé, l’enjeu est que les étudiants se rendent compte qu’ils ont la capacité de placer leur attention là où ils le souhaitent, sans se laisser distraire et qu’ils adoptent cette logique en cours. L’idée est de les sensibiliser au fait qu’ils ont du contrôle sur leur concentration.
Bien sûr, au début surtout, certains n’adhèrent pas. Ils regardent leur téléphone ou leur ordinateur pendant le centrage et sont alors dans la logique inverse à CENTRé puisqu’ils n’arrivent pas à se déconnecter de ces outils. C’est dommage, mais ce n’est pas grave, il ne s’agit pas de forcer, mais de proposer. Tout ce que je leur demande alors est de ne pas perturber les autres. Ce que je dis aussi aux étudiants, c’est que le centrage peut leur servir dès qu’ils en ont envie ou besoin : pendant qu’ils révisent ou juste avant un examen, par exemple. Mettre en place un temps de centrage encadré en début d’examen pourrait également être un objectif !
6. Temps forts
Quels sont les prochains rendez-vous CENTRé ?
Les ateliers ont été réactivés, autour des deux formats déjà proposés précédemment : sensibilisation pour les nouveaux qui voudraient se lancer et échange de pratiques, pour ceux qui l’ont fait. Ces ateliers durent en général 2 heures et commencent par un temps de centrage. En atelier de sensibilisation, on présente le projet, les études qui en ont montré les effets bénéfiques, puis il y a un temps d’échange dédié à l’expression des craintes ou réticences. Lors de l’atelier suivant, de petits groupes sont formés et interagissent pour tester les différentes approches du centrage entre eux. Les participants adaptent ce qui est dit et se l’approprient. On tient à ce qu’ils expérimentent d’abord dans ce contexte pour être à l’aise ensuite, en situation.
7. Le partage en pédagogie
Plus largement, en quoi diriez-vous que le partage des pratiques pédagogiques est enrichissant ?
Je dirais que c’est indispensable et qu’on ne le fait pas assez. Pour moi, le partage des pratiques pédagogiques fait vraiment sens. Il y a une communauté autour de la pédagogie, ce qui montre que ce n’est pas secondaire. Les enseignants de ma génération n’ont pas eu la chance d’être formés à la pédagogie. Aujourd’hui, c’est mieux. Les ateliers et autres formations en nous permettant d’échanger et de comparer nos pratiques nous permettent de valider des intuitions, d’élargir nos perspectives, de trouver des réponses.
En savoir plus sur CENTRé
Si vous souhaitez vous inscrire aux ateliers, merci de contacter Florence Spitzenstetter.
Et, pour un aperçu des ateliers, rendez-vous sur Ernest.