Claire Hebting – L'enseignement à distance à 6000 km : l'hybridation comme levier pédagogique Enseignement à distance hybride

Avec un océan entre elle et ses étudiants, Claire Hebting, enseignante au Centre de formation universitaire en orthophonie, aurait pu penser qu’il serait impossible de continuer à faire cours, après son déménagement au Canada. Relevant le défi, elle a mobilisé l'hybridation pédagogique pour gommer les kilomètres qui séparent l’Hexagone de son nouveau pays d’adoption. Elle nous explique comment elle a procédé pour que ses étudiants poursuivent leurs apprentissages dans les meilleures conditions.

  Temps de lecture : 10 minutes

Claire Hebting est orthophoniste ; plus exactement, logopède, puisqu’elle a été diplômée en Belgique, en 2008. Son équivalence en poche, elle a exercé en libéral : d’abord en Suisse, puis en France.

Claire Hebting s’est intéressée tôt à la pédagogie, en accueillant des stagiaires. À compter de 2019, elle a commencé à enseigner à l'Université de Strasbourg, au CFUO, le Centre de formation universitaire en orthophonie. Quelques années plus tard, cet enseignement donné en présentiel a été transformé par ses soins en enseignement à distance, à l’occasion de son déménagement… à Montréal.

Retour sur la mise en place de ce cours hybride, à la fois synchrone et asynchrone.

1. Le cours de Rééducation des troubles du langage et de la communication est un cours que vous donniez à Strasbourg, depuis 4 ans. En 2023, vous l’avez entièrement repensé à distance, suite à votre installation au Canada. Pouvez-vous détailler cela ?

Lorsque mon projet de départ outre-Atlantique s’est précisé, j’ai discuté avec l'équipe pédagogique du CFUO, pour déterminer ce qu’il adviendrait de mon cours. Il est conséquent, puisqu’il représente environ 25 heures. La réponse qui m’a été faite était : « Si vous avez une solution, nous la prendrons ». J'en ai proposé plusieurs : animer des sortes de séminaires, sur la base de trois jours de cours, avec du travail à réaliser par les étudiants, que j’aurais ensuite revus trois jours plus tard. Cependant, c’était compliqué à envisager dans la pratique, tant financièrement, qu’en termes d’organisation.

J'avais aussi pensé donner mes cours en transformant le présentiel en distanciel. C'est quelque chose que je fais en formation continue : je dispense le même programme à des orthophonistes, à distance. Néanmoins, en formation continue, les orthophonistes choisissent d'être formés à distance, tandis que les étudiants n’ont pas fait ce choix. C'est moi qui leur impose la modalité. Ainsi, j'ai réfléchi à une formule hybride. Celle-ci s’axe autour de modules asynchrones, que j'enregistre au préalable et que les étudiants peuvent effectuer quand ils le souhaitent, et de modules synchrones, lors desquels ils peuvent me poser des questions et discuter de certains points.

2. Qu’avez-vous modifié ? Pourquoi ? Pour quel effet ?

Un facteur qu’il m’a fallu prendre en considération était celui de la temporalité propre au distanciel.

J’ai dû entièrement réorganiser la façon dont j'avais donné cours jusqu’à présent, ainsi que tout ce que j'allais faire en asynchrone, à l’aune des questions suivantes : « Quels modules seraient préenregistrés ? Que faire en synchrone ? ». J'ai également modifié les évaluations et le mode d'échanges avec les étudiants. Auparavant, je les voyais chaque semaine et j’avais aussi des contacts avec eux par mails. C'était plus facile.

Un autre facteur qu’il m’a fallu prendre en considération était celui de la temporalité propre au distanciel. Je ne voulais pas qu'on soit plus d'une heure et demie en visio, voire deux heures grand maximum. Cela changeait la donne par rapport au présentiel, où il m'arrivait de donner des cours de trois ou quatre heures. Là, pour maintenir la concentration, je savais que ça ne serait pas possible.

3. Le sujet de l’attention et de l’implication est effectivement fondamental en matière d’enseignement à distance. Comment avez-vous intégré ces dimensions à votre pédagogie ?

Ça a demandé beaucoup de temps. C'est toujours difficile d'estimer la manière dont les étudiants vont recevoir ce que l’on conçoit. Concernant les vidéos d’une demi-heure, il fallait compter le double de temps côté étudiants, puisqu’ils n’avaient pas simplement le visionnage, mais aussi le quiz, etc.

Dans mon ingénierie de cours, j’ai utilisé plusieurs outils. Les vidéos étaient réalisées chez moi, en utilisant la fonction Cameo de PowerPoint. Cette fonction consiste à apparaître dans une bulle, en s’enregistrant à mesure que les slides défilent. Les supports de cours étaient donc multimédias ; sonorisés et avec de la vidéo. Le montage a été fait sur iMovie, en coupant les séquences inutiles et en ajoutant de l’habillage. Je téléchargeais, ensuite, chacune de ces vidéos sur POD et mettais le lien sur un Padlet, organisé par date. Donc les étudiants savaient exactement qu’à cette date-là, nous étions censés voir tel sujet, avec tel support.

Je me suis demandé ce qui serait le plus problématique pour les étudiants, en me mettant à leur place.

Je me suis demandé ce qui serait le plus problématique pour les étudiants, en me mettant à leur place. C’est un cours où je montre énormément de vidéos. Pour des raisons de confidentialité, je ne pouvais pas mettre certaines vidéos en ligne. Je souhaitais, par ailleurs, proposer des modules qui – même en asynchrone – ne soient pas trop longs. J’ai ainsi fait en sorte de pouvoir les découper. Moi-même, quand je me forme et qu’une vidéo est trop longue, je deviens moins attentive.

Il ne s’agissait pas de faire de la vidéo, simplement pour de la vidéo. Je me suis attachée à me limiter à une durée de 30 minutes et à ce qu’elles soient systématiquement chapitrées. Cela permettait aux étudiants de savoir où ils en étaient dans le chapitrage et de naviguer à leur guise. Ils savaient qu’ils auraient alors à répondre à un quiz, en rapport avec le sujet vu. Il pouvait s’agir de quiz théoriques ou de mises en situations cliniques. Certains quiz pouvaient, quant à eux, être à réaliser en amont du visionnage de la vidéo, afin d’explorer leurs connaissances antérieures et de les rafraîchir, par exemple avec un schéma vu lors d’une précédente année. C’était vraiment pour qu'ils se sentent impliqués et qu'ils sachent qu’il était nécessaire de regarder la vidéo.

On peut voir un parallèle avec certains ressorts de la classe inversée, mais ce n'est pas ce que j'ai voulu faire, parce que ça demande énormément de travail de la part des étudiants. Le programme en orthophonie est déjà particulièrement chargé. L'idée était plutôt de les impliquer véritablement dans leur apprentissage pour qu’ils se rendent compte que ça va avoir un intérêt par la suite. Toujours sur le Padlet, je mettais un lien Moodle dirigeant vers les quiz. Même si ce n’est pas un outil très « fun » en termes de design, Moodle a l’avantage de permettre un suivi de la progression de chaque étudiant. En fonction de cette analyse, j’étais en mesure de savoir si une de mes questions était mal formulée, dans le cas où une majorité d’étudiants n’avaient pas répondu correctement.

Pour résumer, les outils asynchrones sur lesquels je me suis appuyée sont : PowerPoint, POD, iMovie, Padlet et Moodle. En modalité synchrone, quand nous étions sur Zoom, je me suis beaucoup servie de Wooclap pour la pédagogie active, afin d’inciter la cohorte à participer en répondant du tac au tac. Ils y étaient déjà habitués. Le but était principalement de recueillir leur avis sur les axes abordés, ou à aborder.

4. Comment avez-vous imaginé votre scénarisation de cours ? Avez-vous été aidée dans cette démarche, ainsi que dans la conception de votre enseignement à distance ?

J'ai été aidée par la cellule pédagogique de l’Université de Strasbourg, l’Idip – Institut de Développement et d’Innovation pédagogiques – et, en particulier, par Marie Lanéry et Nadira Bensmaia. Elles m'ont m’aiguillée sur les outils disponibles et sur ce qu’il était possible d’imaginer, afin que ça soit cohérent pour les étudiants.

De mon côté, j’ai beaucoup réfléchi aux temporalités. Par exemple : « Est-ce que je mets d’emblée les étudiants, seuls, devant une vidéo ? ». Ou bien : « Est-ce qu'on fait d'abord un cours synchrone, au préalable ? ». Mes interrogations portaient aussi sur la quantité d’explications à donner sur le cadre et l’organisation, sachant que ce temps serait pris « au détriment » des contenus que nous avions à voir dans le nombre d’heures imparties.

5. De quelle façon avez-vous fait travailler vos étudiantes sur les cas cliniques et en quoi ce volet a-t-il été particulièrement formateur ? Comment s’est opérée la phase d’évaluation des acquis ?

Dans la scénarisation, j’ai tenu compte de l’évaluation en groupe pour laquelle 5 à 6 étudiants devaient traiter un cas clinique, donné en septembre. Ils avaient des travaux à me rendre régulièrement pour lesquels je leur proposais des feedbacks écrits et un travail final, pour le mois de décembre. Ces travaux successifs, accompagnés des feedbacks, ont été un fil rouge. Donc, j'ai organisé mes enseignements et modules en fonction de ce fil rouge. Ma scénarisation a été conçue de sorte à ce que les informations qui arrivent au fur et à mesure servent aux étudiants pour travailler sur le cas clinique. Il y avait donc à la fois une évaluation formative et une évaluation sommative.

J’ai fait le Master 2 Pédagogie en sciences de la santé. Suite à cette formation, j’avais à cœur que mon évaluation soit un moyen d'apprentissage.

Je précise que j’ai été tellement intéressée par la pédagogie que, l’année précédant mon déménagement, j’ai fait le Master 2 Pédagogie en sciences de la santé à l’Unistra. Suite à cette formation, j’avais à cœur que mon évaluation soit un moyen d'apprentissage. Je ne voulais pas que les étudiants aient juste une posture d’évaluation et non d’apprentissage. Pour ma part, je souhaitais aussi être dans une posture d'accompagnante, plutôt qu’uniquement sommative, en gardant à l’esprit que pour une cohorte de 35 étudiants, les questions ouvertes posées lors d’un examen sont trop chronophages à corriger. Il était important d'avoir plusieurs points d'évaluation. L’écueil d’un examen sommatif est qu’on n’est pas en mesure de valoriser la progression au cours de l’année.

C’est ainsi que j’ai conçu l’évaluation en groupe. Ils pouvaient s’appuyer sur une grille d’évaluation pour savoir sur quoi ils allaient être évalués. Je leur ai aussi demandé une présentation orale, face à la promotion, afin que tous puissent bénéficier du travail des autres, dans une dynamique d'apprentissage entre pairs. Sachant la difficulté à travailler en groupe, je ne voulais pas que ce soit le seul point d’évaluation. J’ai donc aussi proposé des examens individuels : un examen théorique sous la forme d’un QCM, sur Moodle et un court travail réflexif à rendre, par écrit ou en réalisant une courte vidéo. Enfin, la réalisation de tous les quiz formatifs tout au long du semestre permettait d’obtenir un demi-point bonus pour les inciter à travailler régulièrement.

Les cas cliniques étaient un élément central du cours, permettant une réflexion longue sur un même sujet, à plusieurs. Les étudiants ont vraiment pu mettre en application leurs apprentissages. Cela les a aussi aidés pour leurs stages. Ils pouvaient faire le lien entre la théorie et l’application, de façon concrète, en mobilisant leurs compétences. En orthophonie, on s’appuie sur une maquette construite sur des objectifs. Ceci étant, je me suis plutôt inspirée du référentiel CanMEDS, un modèle sous la forme d’une marguerite dont les pétales renvoient à des compétences (communication, expression orale, etc.).

6. Pouvez-vous détailler plus précisément vos méthodes pédagogiques et outils ?

En termes de méthodes pédagogiques, on retrouve la pédagogie active, les évaluations formatives, sommatives et l’apprentissage entre pairs. Dans la pédagogie active, en particulier, il y a tout ce qui concerne l’exploration des connaissances antérieures. Il faut rappeler que je connaissais ces étudiants, pour leur avoir déjà fait cours lors de leur deuxième année d’études. Un point important de la construction de mon enseignement à l’aune de ces méthodes est la notion de socioconstructivisme. À travers les travaux de groupes, c’était vers cette notion que je tendais.

L’organisation relative aux modules synchrones et asynchrones s’est déclinée sur plusieurs étapes. J’ai d’abord envoyé un mail à l’ensemble des étudiants, contenant le lien d’une vidéo introductive, dans laquelle je leur disais être à Montréal et que les modalités de notre cours allaient être différentes des années précédentes. Avant de débuter les cours en tant que tels, j’ai soumis un questionnaire d’une dizaine de questions, visant à établir un rappel des connaissances, pour resituer leur niveau. Suite à cela, nous nous sommes retrouvés en synchrone, pendant 1 heure et demie, dont 45 minutes étaient consacrées à leur expliquer la manière allait se dérouler cet enseignement à 6000 km d’éloignement.

J’ai aussi veillé à les questionner, en leur demandant : « D’après vous, quel est l'intérêt des cours à distance ? Les avantages, les inconvénients ? ». Je leur ai alors indiqué que la solution qui me paraissait la plus pertinente était de faire de l'hybride, avec des modules asynchrones – à suivre quand ils le souhaitent – et des modules synchrones, ensemble. Je leur ai d’emblée transmis le planning détaillé de la totalité de mon enseignement, les modalités d’évaluation et deadlines. Ainsi, ils connaissaient les jalons. Enfin, je leur ai présenté les moyens de communication que nous allions utiliser : des échanges par courriel, essentiellement, mais aussi via un forum intégré à Moodle. Je les ai aussi renvoyés au Padlet et à un drive, qui serviraient pour les modules, documents à télécharger et rendus.

7. Quelles ont été les difficultés identifiées dans les projections initiales des étudiants et leurs retours finaux ?

Comme de coutume en fin d’année, j’ai recueilli leur ressenti via une évaluation de l'enseignement. Il est apparu que le niveau de satisfaction pour ce cours en distanciel était équivalent à celui de mes cours antérieurs en présentiel. J’ai été étonnée par le grand nombre d’avis formulés. Ceux-ci étaient globalement positifs. Certains étudiants appréciaient que mon cours soit à distance, car ça leur permettait de prendre des captures d'écran de diapositives, pour les intégrer directement à leurs notes. L’asynchrone a aussi beaucoup plu, dans la mesure où il leur était possible de revenir en arrière, réécouter un passage, mettre en pause, etc. Ils ont fait part d’un sentiment de contrôle et de liberté, grâce à la flexibilité offerte par ce cours hybride.

Au niveau des inconvénients, pour ma part, il y avait de devoir composer avec le décalage horaire. Les étudiants ont, quant à eux, indiqué qu’ils se sentaient moins enclins à poser des questions, que ce soit en synchrone ou en asynchrone, du fait d’être derrière un écran. Toujours par rapport à l’écran, d’autres ont dit que ça les fatiguait ou qu’ils avaient l’impression que ça leur prenait plus de temps. Cette perception du temps est surprenante, de mon point de vue, dans le sens où le cumul des vidéos qu’ils avaient à visionner est inférieur au temps que j’aurais passé à leur faire cours en présentiel.

Un point un peu décevant concernait leur manque d’utilisation de la webcam. En effet, en dépit de mes incitations répétées à ce qu’ils l’allument, une partie d’entre eux la gardaient éteinte. J’avais pourtant indiqué qu’il était nécessaire, pour moi, de ne pas faire cours à des écrans noirs et qu’ils pouvaient masquer le fond avec un fond virtuel. Ils avaient même une salle commune de l’Université à disposition, pour ceux qui ne souhaitaient pas suivre les visios à domicile ou ne le pouvaient pas.

8. Quelles améliorations du dispositif imaginez-vous ?

Repenser l’entièreté du cours et cette hybridation a demandé un travail considérable. Désormais, la base globale est totalement établie. Je vais néanmoins tenir compte des retours des étudiants ; j’aimerais proposer des outils de gestion du travail en groupe. En orthophonie, on travaille souvent en libéral, seul, mais ce travail collectif est intéressant, notamment car on est de plus en plus amenés à travailler avec d’autres professionnels en maisons de santé ou en CPTS. Il faudra également voir comment ajuster l’évaluation en fonction de leur planning de partiels.

9. Enfin, en quoi le partage des pratiques pédagogiques est-il enrichissant dans le cadre de votre enseignement, ainsi que pour vous-même ?

D’une manière générale, je suis pour le partage et je vous remercie grandement de m’avoir proposée de faire cette interview. Par ailleurs, je tiens un blog sur lequel je partage mes réflexions orthophoniques et pédagogiques. Partager permet de clarifier sa pensée, de la formaliser et d’adopter une posture réflexive pour identifier les points positifs ou négatifs améliorables. Quand on a un but de transmission, on est plus concis dans ses propos.

En pédagogie, on s'inspire beaucoup de la manière dont on a été formé. J'ai passé beaucoup d'années à l'école et j'étais plutôt bonne élève. On peut donc probablement dire que la manière dont on m’a enseigné fonctionnait bien. Toutefois, les choses ont, depuis, changé. Les étudiants ont changé, les outils technologiques et les programmes également. Il peut alors être inspirant de voir comment procèdent les collègues, sans penser uniquement à la formation qu’on a nous-même reçue. Ça donne des idées pour faire différemment. D'ailleurs, pendant mon année de Master 2, je me suis retrouvée en position d’étudiante. À cette occasion, j’ai vu plein de modèles d'enseignement, eux aussi très inspirants.

En savoir plus sur l'enseignement à distance

•    Pour en savoir davantage sur le Master 2 Pédagogie en sciences de la santé, rendez-vous sur la page dédiée de l’Université de Strasbourg.
•    Par ailleurs, parcourez l’article de blog que Claire Hebting a co-écrit avec Anaïs Deleuze, où toutes deux partagent leurs expériences respectives.
•    (Re)découvrez également l’outil Padlet.
•    Enfin, l’Idip – Institut de Développement et d’Innovation Pédagogiques – vous accompagne avec son service dédié à l’enseignement à distance : le pôle APN, Appui par le numérique.