Christophe Serra et Melodie Galerne – Approche par compétences et mise en situation : deux journées immersives à l’ITI HiFunMat

Dans le cadre de ses Training Camps, HiFunMat – l’un des 15 Instituts Thématiques Interdisciplinaires de l’Université de Strasbourg – place les étudiants en situation immersive. Ceux-ci sont amenés à travailler sur un domaine ne relevant pas de leur spécialité en développant, ainsi, des compétences transversales et en vivant une expérience pédagogique stimulante, comme nous l’expliquent Christophe Serra et Melodie Galerne.

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1. Dans le cadre de l’approche par compétences, un des enjeux est de déterminer les compétences que l’on peut acquérir par la recherche. C’est notamment un volet du projet NeXus. Comment cet enjeu s’intègre-t-il à HiFunMat et à son offre de formation ?

M.G. : Il existe des différences de connaissances et de compétences chez les étudiants qui vont en stage ou qui se dirigent vers un doctorat. Cela constitue un frein à une intégration réussie dans un laboratoire. Ils sont très spécialisés avec leur master, mais il leur manquait une vision plus large des différentes techniques qui existent puisque, dans les matériaux, plusieurs domaines rentrent en jeu. Aussi, les étudiants n’ont souvent qu’une réflexion principalement académique, et non scientifique, car ils n’ont pas été immergés dans un vrai laboratoire de recherche. Lors des Travaux Pratiques (TP) et des cours magistraux, l’étudiant effectue une tâche parce que c'est écrit. Une réflexion plus scientifique, à propos des choix techniques, ou encore de la signification des données, était ainsi jugée nécessaire.

C.S. : Il existe pourtant une appétence pour des activités de recherche, notamment chez les M1. Ils veulent savoir ce qu’ils se passe en milieu professionnel ainsi que les possibilités d’avenir. Naturellement, la graduate school fait le lien entre le monde purement académique et celui de la recherche. Nous avons donc développé des activités pédagogiques destinées à leur montrer, dès le M1, les interactions dans un laboratoire et les outils qui y sont utilisés. Cela leur permet de se projeter plus facilement dans l'année de master 2 et, éventuellement, la thèse. Nous choisissons des étudiants pour leur proposer un supplément au diplôme composé d'activités pédagogiques supplémentaires, en sus de leur cursus traditionnel, pour essayer de les attirer vers la recherche. A titre personnel, je trouve que cela fonctionne très, très bien. Nos étudiants n'ont de cesse de nous faire de très bons retours. Nous organisons, par exemple, des visites d'usines, ce qui n'est pas courant dans un cursus de master. Nous associons leur vision d'un laboratoire et les activités qui s'y trouvent à une industrie qui pourrait être leur futur employeur.

2. Pouvez-vous nous présenter ce que sont les Training Camps, le déroulement de ces deux jours et comment se constitue l’équipe encadrante ?

M.G. : Les étudiants sont mis en binôme et travaillent sur un TP qui n'est pas de leur spécialité de master. Ils sont encadrés par du personnel spécialisé dans les méthodes de caractérisation comme des ingénieurs, des techniciens ou des chercheurs. Ils sont en laboratoire pendant deux jours, avec, en premier lieu, une partie théorique, puis un côté pratique à propos de l’intérêt de l’utilisation de certains matériaux, des informations qu’ils peuvent en tirer ou encore la pertinence de certains paramètres. Cela est accompagné d’une réflexion scientifique autour des méthodes employées et des éventuels points d’amélioration. S’ensuit une demi-journée de restitution du travail devant tout le groupe.

C.S. : Cette restitution fait prendre conscience des techniques expérimentales que les uns et les autres ont pu découvrir et qui pourraient leur être utiles s'ils font un master ou une thèse. Il est intéressant que les étudiants puissent avoir une réflexion propre à propos de leur sujet. En ayant déjà vu un panel de caractérisations, ils seront plus proactifs dans leur domaine.

M.G. :  Chaque binôme effectue une présentation pour donner une vision globale des sujets à tous les étudiants. A cette même occasion, un doctorant propose une mise en situation en développant le sujet de sa thèse. Après cela, les étudiants des différents masters discutent ensemble des outils de caractérisation, des informations qu’ils peuvent en tirer, etc. Enfin, ils présentent leur démarche et leurs propositions avant qu’ait lieu un échange scientifique avec l’étudiant en thèse et les membres de la communauté de la graduate school.

3. Qui est le public cible ? Selon vous, le dispositif pourrait-il être transposable à des étudiants de licence ou à des promotions plus larges ?

C.S. :  La science des matériaux est interdisciplinaire par nature, avec des axes de recherche en chimie, en physique, en matériaux, en biomatériaux, etc. Naturellement, les étudiants sont directement confrontés à cette pluridisciplinarité puisque notre vivier de recrutement est constitué de trois masters différenciés en physique, sciences pour l'ingénieur et chimie.

Pour le moment, le dispositif est approprié pour des étudiants de masters qui se posent des questions sur leur avenir et sur leur futur métier alors que ceux de licences sont encore en acquisition de connaissances. C'est sur ces critères que nous les recrutons car nous prêtons beaucoup l'oreille aux personnes qui se questionnent à propos de leur projet professionnel.

M.G. : Ce serait compliqué pour le niveau licence, puisque les étudiants sont placés en dehors de leur domaine. Les étudiants de master ont déjà un projet, non définitif, mais déjà bien réfléchi, car ils ne sont pas intéressés uniquement par la spécialité de leur master, puisqu’ils ont déjà une certaine ouverture et viennent en découvrir plus.

C.S. : Les étudiants doivent avoir envie et comprendre ce que cela leur apportera. C'est le moteur pour qu'ils puissent suivre des cours supplémentaires le samedi, en dehors de leur cursus, compte tenu de la contrainte des emplois du temps. Jusqu'à présent, nos étudiants étaient toujours enjoués de suivre des cours, notamment transversaux. Le premier cours n'est donné dans aucune des trois spécialités, ou presque, et les étudiants y apprennent de nouveaux concepts.

M.G. :  Notrepromotion est toujours remplie avec dix étudiants en M1 et jusqu'à treize en M2.C'est très limité par le fait que nous offrons une bourse de vie à tous nos étudiants.Comme ils doivent travailler le samedi pour leurs cours de l’ITI, ils ne pourraient pas travailler en même temps.Cela contribue également à la popularité, car, disposer d'un financement pour se consacrer uniquement à ses études est un levier très important.

4. Le contexte de mise en situation s’inscrit-il dans une démarche SAÉ (Situation d'apprentissage et d'évaluation) ? En quoi faire sortir les étudiants de leur zone de confort est-il bénéfique ?

M.G. :  Les étudiants sont eux-mêmes acteurs de leur apprentissage. C'est à eux d'indiquer leur niveau aux encadrants tout au long du TP et d'avoir un dialogue pour identifier les points faibles. Tout cela est suivi et évalué pendant la dernière demi-journée où ils présentent. Nous leur demandons également de rédiger un petit rapport, aussi évalué par les encadrants, pour vérifier qu’ils ont compris l’intérêt du dispositif, et pour qu’ils présentent ce qu'ils ont appris de manière synthétique et pédagogique à leurs collègues de promotion. C’est une véritable mise en pratique qui endurcit l’acquisition de ces compétences.

Nous ne mettons pas trop de pression quant à l’évaluation. Le but est d’apprendre l'un de l'autre, de présenter ce travail de la manière la plus pédagogique possible, mais aussi de poser beaucoup de questions à la suite des autres présentations. Nous ne voulons pas évaluer, mais qu’ils comprennent par eux-mêmes ce qu’il s'est passé pendant ces TP.

C.S. : Notre objectif est de les amener généralement jusqu'au doctorat, ce qui présuppose qu'ils aillent embrasser une carrière de recherche, qu'elle soit académique ou industrielle. Plusieurs disciplines contribuent à l'élaboration d'un matériau ce qui impose la collaboration avec d'autres personnes dont des spécialistes très pointus. Le fait d'avoir eu un apprentissage pluridisciplinaire ouvre l'esprit à l'écoute, car, trouver des solutions pour un objectif visé, nécessite de combiner des expertises différentes.

M.G. : Nous plaçons les étudiants en dehors de leur zone de confort sans pour autant qu’ils soient seuls. Ils sont en binôme et nous les accompagnons, ce qui fait qu'ils réussissent. Quand nous ne serons plus là, dans leur stage ou dans un projet de recherche pour leur thèse, ils seront déjà habitués puisqu'ils auront été dans cette situation auparavant. Ils ont un contact, presque de proximité, avec l’autre personne. C’est une toute autre discussion que ce que l'on pourrait avoir avec un gros groupe ou un enseignant.

5. Parmi les leviers favorisant l’autonomie des étudiants, on peut citer la restitution des travaux devant les pairs. Quelles autres compétences transverses sont développées ?

C.S. : Je pense que la compétence d’ouverture d'esprit est primordiale et inhérente à la science sur laquelle nous les faisons travailler car elle est pluridisciplinaire par nature. En master 2, des cours sont animés par des chercheurs qui présentent la manière dont ils travaillent sur une des étapes de la construction d'un matériau. Cela contribue à montrer aux étudiants la nécessité de comprendre l'autre et d'interagir.

6. Celles-ci viennent ensuite nourrir le portfolio des étudiants : une étape cruciale dans une perspective tant académique que professionnelle ?

C.S. : Nous avons fait des études sur les portfolios et nous nous sommes aperçus qu'il y en a une variété innombrable puisque certains étudiants en avaient, de par leur formation, déjà commencé un. La formule retenue a été de les laisser faire leur propre portfolio.

M.G. : Nous invitons un intervenant d'Espace Avenir pour présenter ce qu'est un portfolio puis nous laissons un temps libre aux étudiants. Beaucoup de masters ont déjà mis cela en place dans leur formation. Si les étudiants intègrent des activités dans leur portfolio, nous pouvons attester de l’acquisition d’une compétence avec nos enseignants.

7. Le fait de concentrer le dispositif sur un temps court de deux jours, dans une dynamique intensive, est-il une des clés du succès ? Avez-vous des résultats quant à l’impact positif des Training Camps sur l’insertion professionnelle des participants ?

C.S. : Nous avons travaillé avec du personnel de recherche qualifié pour qu’ils puissent encadrer les étudiants dans nos laboratoires. Ce dispositif ne pouvait pas se dérouler sur une semaine, car, même si les encadrants le font bien volontiers, ils prennent de leur temps de travail. Puisque tous nos étudiants n’ont pas de temps libre commun, des problèmes calendaires imposent des contorsions. Ainsi, disposer de petits groupes de 2 à 3 personnes facilite l’organisation, c’est pourquoi le consensus s’est porté sur ces deux jours.

M.G. : Deux jours, cela peut paraître court, mais ils sont souvent bien remplis. Des étudiants nous ont déjà dit qu’ils avaient l’impression de faire une semaine complète de TP. Le temps consacré est tout de même jugé approprié par rapport à ce qui est présenté dans le TP selon les étudiants. Le retour que l'on a eu était positif. Les étudiants apprécient ce qu'on leur propose puisque la promotion diplômée l'année passée a souhaité accueillir la nouvelle. La première promotion a été diplômée cet été. Les étudiants ont demandé à organiser un évènement pour recevoir le supplément au diplôme et se revoir une dernière fois. La réunion de rentrée, pour les nouveaux étudiants de M1 et de M2, s’est tenue le même jour. Les anciens étudiants y avaient tenu un petit discours donnant leur ressenti sur le programme. Cela a vraiment bien marché et nous a permis de connaître leur point de vue et de voir les personnes qui avaient déjà fait tout le parcours.

C.S. : C'était un bon indicateur. Nous avons fait des choix qui semblaient être cohérents et appréciés par les étudiants. Un réseau professionnel est également en train de se construire. Nous invitons notamment ce réseau et des étudiants d'autres masters à des conférences HiFunMat et des écoles d'été pour favoriser les rencontres. Ces journées-là permettent aux étudiants de tisser du lien avec des personnes qu’ils n'auraient pas rencontrées autrement et nous en avons eu un retour très positif.

M.G. : Uniquement une promotion a été diplômée jusque-là. Sur huit étudiants, sept d'entre eux ont déjà commencé leur thèse et une personne cherche à s'insérer dans le milieu professionnel. Il est vrai que les doctorants qui ont une ouverture d'esprit assez importante, généralement, font de bonnes thèses.

Trois étudiants ont continué avec des laboratoires qu’ils ont connus grâce au programme. Ils font maintenant leur thèse, qui découle plus ou moins de leur sujet de stage fait dans nos laboratoires. Une autre personne ayant fait son stage ailleurs est revenue dans le consortium pour travailler avec des personnes qu'elle a connues via ce biais. D'autres font des thèses autre part en France.

8. Plus largement, quels avantages ce dispositif apporte-t-il à l’étudiant et quelles sont les éventuelles difficultés ou pistes d’amélioration ?

C.S. : Au-delà du surcroît de travail, les étudiants sont satisfaits et acquièrent des compétences qui ne sont pas cantonnées au master qu’ils suivent. Nous sélectionnons aussi ces étudiants pour qu’ils développent une vision plus large des domaines scientifiques, ce qui est bénéfique pour leur vie future. Nous renforçons cette idée-là en discutant avec eux de tout ce que nous mettons en place et en les incitant grandement à travailler ensemble sur différentes disciplines. De ce point de vue-là, c'est un réel satisfecit.

Des difficultés organisationnelles nous ont poussés à changer et adapter notre projet. À l’inverse, confédérer les membres des laboratoires, y compris les personnels techniques, s’est avéré moins compliqué qu’initialement prévu. Cette aspect représentait une zone d’ombre lors de la rédaction du projet mais s’est avéré être un nouveau satisfecit.

Nous allons maintenant entrer en phase d’introspection pour déterminer le futur et concevoir les prochaines sessions. Nous devons définir si nous continuons sur le même mode, avec plus de moyens et d'activités, ou si nous transformons cela en un diplôme universitaire. Lorsque certains collègues ont entendu parler du dispositif, ils ont demandé à ce que nous leur ouvrions les portes pour la prochaine version. C'est une belle marque de succès.

9. Enfin, en quoi le partage des pratiques pédagogiques est-il enrichissant ?

M.G. : C'est déjà dans notre ADN. C’est grâce au dialogue, à la communication et au partage d’idées que nous avons pu tout construire. Les managers des autres ITI parlent de ce qu'ils ont mis en place. Cela donne souvent des idées et permet une prise de recul face à certains problèmes. Partager est très enrichissant.

C.S. : On s'aperçoit qu'on est privilégié quand on est dans un ITI. Ce sont des portes ouvertes à bien plus de choses que l’on peut imaginer. Leur fonctionnement est appréhendé de manières différentes ce qui favorise les idées. Il faut donc faire le tri et tout mettre en place, ce qui risque d'être difficile, mais l’exercice est indéniablement très enrichissant.

G.M. : Sans partage, nos projets ne peuvent pas vivre et n’ont d'utilité ou d'existence que dans leur environnement proche. Cela donne de la valeur à ces initiatives.